Focus on : « Auschwitz et après » – Charlotte Delbo

Charlotte Delbo fait partie des 230 femmes qui ont été déportées en janvier 1943, allant de Compiègne à Auschwitz. Elle nous a livré dès lors, une multitude de texte et autre témoignage, pour nous présenter la vision la plus proche de la réalité de son expérience, ainsi que celle de milliers de jeunes femmes. Ici, je vous parle de « Auschwitz, et après » qui est présenté sous forme de trois volumes tous plus intéressants les uns que les autres.

« Aucun de nous ne reviendra » – Charlotte Delbo

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Lorsque l’on ouvre un roman, on peut y déceler une multitude de chose. Un besoin de voyage ou à l’inverse une envie d’isolement. On peut rechercher à se vider la tête, à rire et oublier notre quotidien ou encore se plonger dans une vérité qui est dur à lire mais qui nous permet de nous sentir en vie et de grandir au fil des pages. Avec ce témoignages, vous l’aurez compris on va pénétrer le monde abominable des camps de concentration, et sans filtre nous prendre toute cette horreur au visage.

Dans ce premier volet elle nous livre un texte déchirant sur ce qu’elle a pu voir et endurer. Sans jamais tomber dans les trémolos, c’est un simple constat sur la réalité des camps. D’ailleurs, elle n’y prend pas part et nous décrit ce monde de manière froid et distant. Comme si elle avait besoin de mettre une barrière pour éviter d’y retourner.

Ce texte en devient donc un documentaire et nous présente une vision plus réaliste. Ici, Charlotte Delbo ne s’apitoie pas sur les morts ou sur l’horreur, elle n’en a pas le temps ni la force. Elle nous présente un monde où le simple fait de survivre était la principale activité de leur journée. On appréciera la franchise de l’auteure lorsqu’elle nous décrit son quotidien. De l’appel du matin, à celui du soir, on a du mal à imaginer la force et le courage qu’il est nécessaire pour survivre. Mais cela n’en est pas, c’est le seul parcours qu’elles peuvent faire sans même sans rendre compte.

La force de ce texte, c’est qu’elle nous présente cela comme si c’était normal. Il était normal de devoir survivre car c’est tout ce qui leur restait. Elle se devait d’être là, de continuer matin après matin, car la mort qu’elle côtoyait et envisageait jour après jour n’était pas encore arrivée à leur porte. Ce texte déchirant nous présente des femmes où la volonté et l’humanité ont disparu, on retrouve des enveloppes vides qui réalisent les mêmes gestes tels des robots.

L’auteure nous retranscrit ce qu’elle voyait sans même le vivre. On traverse les camps à travers ses yeux et son quotidien. Bien loin des romans qui se sentent trop souvent obligé d’omettre des détails ou d’en rajouter pour nous présenter une vérité mitigée, ici l’auteure n’a pas peur de tous nous livrer. Sans faux semblants elle nous présente le récit véridique d’une femme qui a passé deux ans dans des camps et qui gardera cette expérience toujours enfouies en elle. Nous lisons impuissant ce livre qui nous rebelle, nous révulse et nous plonge dans une horreur inimaginable.

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*Pour aller plus loin, voici l’histoire : Aucun de nous ne reviendra est, plus qu’un récit, une suite de moments restitués. Ils se détachent sur le fond d’une réalité impossible à imaginer pour ceux qui ne l’ont pas vécue. Charlotte Delbo évoque les souffrances subies et parvient à les porter à un degré d’intensité au-delà duquel il ne reste que l’inconscience ou la mort. Elle n’a pas voulu raconter son histoire, non plus que celle de ses compagnes ; à peine parfois des prénoms. Car il n’est plus de place en ces lieux pour l’individu.

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« Une connaissance inutile » – Charlotte Delbo

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Dans ce second volet (si on peut l’appeler comme cela), Charlotte Delbo va nous donner une vision beaucoup plus personnelle des camps. On va suivre sa propre expérience et en prenant part à toute cette horreur, elle nous livre un peu d’elle-même dans ce texte.

Précédemment on avait à faire à des hommes et des femmes lambda qui avaient vécus une abomination, mais on regardait tout cela d’un point de vue presque extérieur. L’auteure ne nous permettait pas une prise de position en pénétrant à l’intérieur des camps. Dès lors que l’on entame ce livre on se retrouve plongé dans les camps à côtés d’une multitude de femmes, dont l’une est Charlotte Delbo. Car toutes ces femmes, nous les connaissons, elles sont nos mères, nos sœurs, nos voisines, elles sont des femmes inconnues ou encore des héroïnes. Mais elles représentent toutes un bout de notre histoire.

Tout d’un coup, ce texte prend une nouvelle dimension, car en prenant place au cœur de son récit, elle nous interpelle et nous emmène avec elle. Ces camps de la mort deviennent dès lors également un lieu rempli d’espoir et d’amitié. Toujours sous la forme d’un documentaire, Charlotte Delbo va nous parler de soutient, d’amitié, d’amour et d’espoir. L’espoir de meilleur lendemain, car on ne peut pas parler d’espoir de survit : il n’y en a malheureusement aucun.

Cette solidarité entre femme qui se dessine sous nos yeux, nous bouleverse. Ce texte devient un témoignage pour toutes les femmes qui ont survécus à l’appel du lendemain. A celles qui seront encore en vie mais également à toutes celles qui ne sont plus des nôtres. Entre richesse d’écriture et précision des détails on semble transporté dans les camps de la mort. A travers de nombreux chapitre court, on suit des destins tragiques et brisés qui demeurent encore aujourd’hui des forces de la nature. Puis Charlotte Delbo mêle à son texte la poésie et la littérature, avec les arts qui permettent encore une fois de s’évader malgré l’horreur.

Ce témoignage d’une grande richesse parvient à nous donner la vision la plus aboutie (à mon avis) de ces années aux camps. Un texte puissant que je ne serais que recommander aux inconditionnels de cette période. Ceux qui veulent avoir une vérité nue.

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*Pour aller plus loin, voici l’histoire : Une connaissance inutile est le troisième ouvrage de Charlotte Delbo sur les camps de concentration. Après deux livres aussi différents par leur forme et leur écriture que Aucun de nous ne reviendra et Le Convoi du 24 janvier, c’est dans un autre ton qu’on lira ici Auschwitz et Ravensbrück. On y lira plus encore une sensibilité qui se dévoile à travers les déchirements. Si les deux précédents pouvaient apparaître presque impersonnels par leur dépouillement, dans celui-ci elle parle d’elle. L’amour et le désespoir de l’amour – l’amour et la mort; l’amitié et le désespoir de l’amitié – l’amitié et la mort; les souffrances, la chaleur de la fraternité dans le froid mortel d’un univers qui se dépeuple jour à jour, les mouvements de l’espoir qui s’éteint et renaît, s’éteint encore et s’acharne…

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« Mesure de nos jours » – Charlotte Delbo

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Cet ultime témoignage nous permet de surtout réfléchir « à l’après ». Comment faire lorsque l’on revient à la civilisation, lorsque l’on revient à la vie ?!

Charlotte Delbo prête sa voix à ses camarades pour nous montrer comment chacune s’est retournée, une fois libérée des camps. Comment peut-on même envisager de vivre, après avoir connu l’horreur la plus totale, c’est sous la forme de court témoignage que l’auteure nous livre un bout de réponse.

En prêtant sa voix, elle nous donne différente façon de faire. Nous sommes toutes différentes et notre rapport à la vie comme à la mort est propre à chacune. Ici nous le découvrons plus que jamais. Certaines ont le besoin de tout raconter et de tout connaître. D’autres s’enfuissent dans l’isolement le plus totale. D’autres vivent à travers leurs enfants, leurs travaux. En résumé chacune tentent de se remettre au mieux dans la vie qui lui est propre.

L’important étant de vivre mais comment faire, lorsque l’on a tout perdu, jusqu’à son humanité : comment se réadapter ? Ce qui est intéressant c’est la manière dont Charlotte Delbo traite le sujet. Elle nous montre bien que le monde lui a continué de tourner et personne ne peut imaginer ce qu’il s’est déroulé. Car les femmes dans les camps coupées de tout, commencent à réaliser que la vie à l’extérieur n’a pas été une partie de plaisir non plus. Et les personnes qui n’ont pas connu les camps veulent comprendre et s’interrogent, presque de manière intempestive …. La curiosité est parfois mal placée.

Cet ultime volet apporte donc une merveilleuse conclusion. Charlotte Delbo a réalisé un travail remarquable sur ces trois textes. Elle nous livre des témoignages bouleversant, et à travers elle, c’est les voix de centaines de femmes déportées qui peuvent se lever et crier leur passé ou choisir de se taire à jamais. Car maintenant qu’elles sont libres, elles peuvent choisir d’oublier ou de livrer leur expérience.

Un texte juste et poignant qui laisse à réfléchir par rapport à notre propre rôle face à ces femmes. Car lorsque nous continuons à vivre comme si de rien n’était, il ne faut pas oublier qu’elles étaient nos mères, nos sœurs, nos amies ou encore nos voisines. Il ne faudra jamais oublier leur mémoire, et grâce à ce bouleversant récit, on nous permet d’ouvrir les yeux et l’esprit face à cette réalité.

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*Pour aller plus loin, voici l’histoire : Et toi, comment as-tu fait ? pourrait être le titre de ce troisième volume de Auschwitz et après. Comment as-tu fait en revenant ? Comment ont-ils fait, les rescapés des camps, pour se remettre à vivre, pour reprendre la vie dans ses plis ? C’est la question qu’on se pose, qu’on n’ose pas leur poser. Avec beaucoup d’autres questions. Car si l’on peut comprendre comment tant de déportés sont morts là-bas, on ne comprend pas, ni comment quelques-uns ont survécu, ni surtout comment ces survivants ont pu redevenir des vivants. Dans Mesure de nos jours Charlotte Delbo essaie de répondre, pour elle-même et pour d’autres, hommes et femmes, à qui elle prête sa voix

14 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. floandbooks dit :

    Tu me donnes envie de les.lire!! Il y a beaucoup de temoignages sur la seconde guerre mondiale et c’est essentiel d’avoir ce devoir de mémoire. Merci, je les.mets dans ma wishlist! 🙂

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    1. J’avais lu d’autres témoignages, mais celui ci est de loin celui qui m’a la plus bouleversé ! J’espère qu’il te touchera autant qu’à moi.

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  2. Ca s l’air bouleversant! J’avais lu Primo Lévis Si c’est un homme il y a longtemps un témoignage vraiment touchant!

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    1. J’avais lu le livre de Primo Levi dans une période où je lisais beaucoup sur la seconde guerre mondiale. Je n’en garde pas un souvenir si exceptionnel, il faudrait que je le relise ^^

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      1. Oui je l’avais lu à l’école je crois même! Belle lecture tellement détachée sans rancune… Inimaginable

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  3. Cat dit :

    Charlotte Delbo… Magnifique. J’ai lu « qui rapportera ces paroles. Très fort. Je l’ai lu avant de créer mon blog. Mais, je lirai cette trilogie d’Auschwitz et après avec intérêt. Très chouette chronique et excellent choix de lecture. La mémoire, c’est important. Bonne soirée!

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    1. Je ne connais pas celui que tu l’as lu mais je vais aller jeter un coup d’œil !
      La mémoire doit être préservée.

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      1. Cat dit :

        Je l’ai lu, il y a quatre ans, oui mais pas chroniqué. Je n’avais pas encore de blogue à l’époque.

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      2. Je comprends. Beaucoup de livres sont dans ce cas ^^

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  4. Madame lit dit :

    Excellent choix comme lecture… Je suis comme toi, je crois que cette lecture me bouleverserait…

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    1. Bouleversante mais nécessaire !

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  5. En fin d’année, j’ai lu « Etre sans destin » de Imre Kertesz, survivant d’Auschwitz également. Ce livre m’a beaucoup plu (même si c’est étrange de dire qu’un livre sur les camps peut plaire…)
    Ces différents témoignages me font de l’œil depuis un moment! Je veux rencontrer cette Charlotte.

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    1. Je ne connais pas cette lecture mais je vais y jeter un coup d’œil.
      C’est vrai que c’est étrange d’apprécier ces textes, mais ils sont nécessaires pour la mémoire !
      J’espère que tu auras l’occasion de découvrir ces trois livres.

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